L'approche évolutionniste

L'approche évolutionniste est universaliste. Elle se situe dans le champ non verbal dans le prolongement des théories de Darwin, introduisant l’idée que les émotions sont universelles et que leur expression peut être reconnue sur tous les visages humains sans distinction, ni de race, ni de genre, ni de culture.
Face aux mêmes émotions, les êtres humains auront les mêmes réactions physiologiques, et ces réactions physiologiques seront observables sur toute la planète, repérables sur la base des mêmes critères.

Darwin fondait son raisonnement sur la continuité et la transformation des espèces possédant dans leur capital génétique des patterns communs. Il identifiait des émotions communes à toutes les espèces, par delà leurs conditions culturelles de vie.

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L'Origine des espèces (1859) et L'Expression des émotions chez l‘homme et les animaux (1877), lui permettant de décrire un certain nombre d'expressions émotionnelles fondamentales communes de l’être humain au singe et même jusqu’au chien.

Dans la lignée de Darwin, Paul Ekman, un psychologue américain, approfondit cette thèse et surtout la confronte avec la réalité, en emmenant avec lui jusqu'en Nouvelle Guinée, des photos d'expressions émotionnelles occidentales, pour voir dans quelle mesure elles pourraient être reconnues, par des populations n'étant jamais entrées en contact avec le monde occidental.
Il valide ainsi très concrètement la théorie darwinienne de la reconnaissance des émotions sur le visage, en utilisant l’outil du langage corporel.

  • La critique cognitiviste de la théorie universaliste :

Pour les cognitivistes, les émotions sont forgées à partir des représentations mentales et les structures cérébrales influencent la capacité à décoder les émotions.
Derrière cette argumentation théorique, des études de terrain tendent à montrer que d'une culture à une autre, les émotions ne sont pas toujours reconnues (Cf Izard,  Face of emotions, Appleton , New-York 1971).
Certaines émotions étant propres à certaines cultures et n'existant pas dans d'autres. (Cf Doï, T, Le jeu de l'indulgence, Asiathèque, Paris, 1988).

  • Le point de vue synergologique :

Proche de la thèse universaliste, la perspective synergologique considère que la critique cognitiviste ne tient pas réellement compte de faits simples. Très empiriquement, sans se livrer à des études très poussées, il est facile de se rendre compte que nous sommes très capables de décoder toutes les expressions émotionnelles de personnes filmées dans des contextes dits exotiques. Sans cette  capacité, un occidental ne pourrait pas réellement être touché par un film chinois ou japonais par exemple, alors qu'il l'est.
De la même manière, si l'on prend l'exemple des téléréalités asiatiques coréennes, le langage corporel n'y est pas différent de celui observable dans les téléréalités ocidentales.
Selon la perspective synergologique, c'est la définition même de l'émotion qui pose plutôt problème. Car il suffirait que nous disions que les émotions correspondent à la lecture d'états corporels qui ont été sélectionnés au cours de l'évolution, afin que les êtres humains puissent se comprendre, pour qu'elles deviennent universelles de fait, puisque nous participons bien tous à la même espèce. Et lorsque l'on dit "les émotions sont universelles", de quoi parle-t-on ? Et si nous ne parlions pas tous de la même chose ?
Une émotion est en effet segmentée en trois moments (Référence 133) :

  1. Le moment du percept
  2. Le moment de l’intégration corporelle-psychique de ce percept
  3. La transmission  de l’état ressenti.

Le percept, premier moment générateur de l'émotion, celui de la perception de l’information est évidemment culturel :

La neige qui tombe ne sera pas envisagée de la même manière par des esquimaux que par des papous de Nouvelle Guinée.

Le réflexe corporel produit par le percept sera lui universel, peut-être qu’un esquimau ressentira de l’abattement face aux premiers flocons d’une dernière neige tard à la fin du printemps, là où le papou ressentira une forme de joie devant ces espèces de petites étamines voletant légères et blanches.
Mais l’abattement du premier prendra la même forme que n’importe quel abattement et la joie du second la même forme que n’importe quelle joie.
Le troisième moment observable de l’émotion, celui de sa transmission sera lui aussi culturel, dépendant du statut des émotions dans la société considérée.
Il est des sociétés où l’expression des émotions est aveu de faiblesse et d’autres sociétés pour lesquelles, exprimer ses émotions c'est faire aveu d'humanité.  Le temps émotionnel qui intéresse la synergologie est ce second temps et ce temps est universel.
Les premiers et troisième temps peuvent être masqués, travestis, pas le second temps, c’est pour cette raison qu’il est si intéressant.

Là où la synergologie prolonge et critique en même temps la perspective évolutionniste, c’est d’abord sur les critères de la perception ontologique du langage corporel et c’est ensuite sur son rôle fonctionnel.

Pour ce qui concerne le langage corporel, sur les critères de la perception ontologique, que ce soit dans la perspective évolutionniste première manière ou dans la perspective Ekman, le langage corporel reste mal compris.

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Pour Darwin comme pour Ekman le langage corporel est essentiellement ramené aux expressions des émotions sur le visage. Toute la dynamique corporelle comme le rapport des segments les uns aux autres par exemple, ou le rapport entre les segments du corps et les expressions du visage, sans parler des diverses configurations des segments du corps, est à peu près complètement passée sous silence.
Mais plus gênant avec la perspective évolutionniste, c’est que le véritable rôle du langage du corps semble n’avoir pas été compris. Le langage corporel est perçu comme langage co-verbal, nuançant, renforcant ou contredisant le langage verbal. Or ce qui n'a pas été compris, c'est que le langage corporel est préalable au langage verbal, il n'est pas coverbal mais préverbal.
C'est à partir du langage corporel que se forme le langage verbal en interaction. Il n'est pas que coverbal, il est aussi préverbal. Le langage corporel d’un individu en interaction peut même transformer la nature des pensées de l’autre à son insu, et ce, en vertu de mécanismes cérébraux producteurs de la compréhension empathique.

Ainsi,  pour un synergologue,  si le langage corporel précède le langage verbal, le corcept précèdera le concept (Référence 140).
Si donc l’approche évolutionniste est intéressante d’un point de vue synergologique, elle reste encore pour ce qui concerne le langage du corps largement à construire.